mercredi 22 janvier 2014

Le défenseur des robots qu'on attendait


Un quart d'heure après le début du pilote d'ALMOST HUMAN, le détective JOHN KENNEX ouvre la portière de sa voiture de patrouille et balance un robot sur l'autoroute. Pourtant, le modèle MX a l'apparence d'un humain. Alors, est-ce une chose ou un être vivant ? Le héros de la série le fait pourtant sans aucun état d'âme. Il n'y a pas plus de sadisme dans son geste que celui qu'il aurait en jetant à la poubelle une imprimante qui refuse de marcher. Il n'est pas spécialement affolé d'avoir détruit un équipement qui coûte (sans doute) des millions de dollars ou d'avoir mis en danger les autres conducteurs. Il referme la portière et continue sa route.

Pilote par That'll make it work
En terme de narration, ce roboticide est bien plus parlant que de longs discours. On comprend que KENNEX n'aime pas les androïdes qui sont devenus les partenaires obligatoires des forces de police pendant son coma. Il permet aussi de présenter son nouveau partenaire, un modèle obsolète qu'on a mis au rencart à cause de sa fâcheuse tendance à ressentir des sentiments et en conséquence à faire preuve des mêmes défaillances que les humains.

DRN, prononcez  DORIAN, est le plus humain des deux. C'est un robot mais aussi un grand sentimental qui est là pour rappeler à son humain qu'il a lui aussi un cœur. DORIAN est obligé de supporter des réflexions racistes et le rejet absolu de son partenaire humain. "Synthétique, off," ordonne le détective au début de l'épisode avant de menacer son équipier de le balancer lui aussi sur la route. Aucune subtilité ici. Nous sommes censés compatir avec KENNEX et ressentir la détresse de DORIAN. Et pourtant, pas plus dans le pilote que dans l'épisode suivant ne fait-on mention d'une éventuelle révolte des robots. En 2048, si on ne contrôle plus technologie, la loi ne s'applique pas non plus aux androïdes. Les machines pensantes sont une solution, pas un problème.

C'est un point de départ intéressant pour une série de science fiction grand public qui met en avant, à la manière simplifiée d'Hollywood, les discussions actuelles concernant l'éthique de la robotique et les droits des robots. Elle pose aussi les bases d'une autre discussion, celle de la culpabilité des machines et de leurs créateurs.


Qu'ALMOST HUMAN s'intéresse à ce sujet n'est pas une coïncidence. J.H. WYMAN et J.J. ABRAMS sont entrés en contact avec KATE DARLING du MEDIA LAB au M.I.T. (DARLING donne également des cours sur les Droits des Robots à l'école de Droit d'Harvard avec LARRY LESSING). Les co-producteurs exécutifs de la série voulaient savoir où en était la robotique et avoir un état des lieux de son devenir.

"Ils m'ont demandé quelle serait la perception de la société par rapport aux robots dans le futur. J'ai été très claire. Je leur ai dit que ça dépendait d'eux. La télévision et le cinéma ont un rôle à jouer dans cette perception. Ils façonnent la façon de penser du public" [bien plus que les publications scientifiques], explique DARLING. La presse populaire se fait l'écho de la fiction qui voit le plus souvent les robots comme des ennemis de l'humanité. "Le débat se fera en fonction de la manière dont la série décrit cette technologie."

On retrouve dans ALMOST HUMAN les sujets habituels de la SF : le robot qui fait exception à la règle, noble et intelligent, dont les émotions résonnent dans l'esprit du public. Sa contrepartie, un robot tout aussi avancé mais dépourvu de sentiments qu'on perçoit comme un potentiel méchant caricatural. C'était par exemple le rôle de T-800 dans Terminator 2 : il possédait un mode d'apprentissage et finissait par se sacrifier héroïquement. Ou encore Roy Batty de Blade Runner, capable de pitié même sous la pluie. La lamentable série de SF (1992) Mann & Machine, inédite en France, avait elle aussi son flic androïde aux prises avec ses émotions.

Nombreux sont à Hollywood les roboticiens de fiction capables de créer sans problème des machines qui ressentent des émotions —une tâche d'une extrême complexité qui n'aurait d'équivalent dans un autre domaine de la science véritable que la mise au point du téléporteur. Là où ALMOST HUMAN s'écarte de ce qu'on voit à Hollywood, c'est qu'elle décrit une société dans laquelle l'intégration des robots est la norme. S'il y a eu des débats sur le fait que les robots autonomes de la police disposent d'armes ou que le commerce des sexbots existe, ils se sont déroulés avant 2048. On ne sait pas comment contrôler le développement des armes ou les nouvelles technologies mais on maîtrise les robots.

DARLING fait d'ailleurs remarquer qu'il n'est pas de la responsabilité de J.J. ABRAMS ou de J.H. WYMAN d'entrer dans le détail des batailles judiciaires ou des réactions de la société sur le fait qu'on mette entre les mains de robots des fusils d'assaut ou qu'il arrive qu'un passant soit victime d'un tir croisé. "Les vrais fans de science fiction seront sans doute déçus par la série," estime DARLING qui en fait partie. "Ils vont dire qu'elle ne s'intéresse pas assez aux zones d'ombre. Mais d'un point de vue plus général, c'est surtout un premier pas dans la description d'une société qui accepte des robots dans la vie de tous les jours."

En terme d'impact potentiel ou d'interaction humain-robot, ce qui est le plus intéressant ce n'est pas qu'elle montre ce que ressent un robot capable d'avoir des émotions humaines. On peut écrire des très bonnes histoires qui parlent des ramifications et des nuances d'une avancée technologique qui s'apparente à la magie mais ce n'est pas de la science. Qu'on s'interroge sur notre ressenti face aux robots, c'est ce qui se dégage d'ALMOST HUMAN.


SKIN par [ getting to the { understanding } part ]
Et là on s'éloigne des recherches de DARLING qui s'intéressent à notre ressenti pour les machines dépourvues de sentiments que nous avons de nos jours. Les robots actuels sont incapables de simuler de sentiments et encore moins d'en faire l'expérience. Mais qu'il s'agisse d'un jouet ou de matériel militaire, nous ne pouvons nous empêcher de ressentir quelque chose pour ces machines. "Même si on ne les a pas fabriquées pour susciter une réponse émotionnelle de la part de leur propriétaire, ils éprouveront forcément quelque chose," explique DARLING. "Parce qu'un lien se crée" à notre insu. Au point que la machine provoque les mêmes réactions que celles qu'on pourrait avoir pour un animal de compagnie, voire un voisin de chambrée.

KENNEX n'avait pas eu le temps de sympathiser avec le MX qu'il jette sur l'autoroute —il ne le connait pas— mais pour DARLING, la manière dont les autres officiers se comportent avec leur équipier robotique semble irréaliste. Les policiers ont forcément forgé un lien avec leur équipier MX. Les robots d'ordonnance sans visage et sans voix qui font du déminage en Afghanistan reçoivent des funérailles militaires et ce ne sont pas des séducteurs nés comme DORIAN. "Je ne sais même pas quel genre de robot il faudrait fabriquer pour qu'on n'arrive pas à s'en sentir proche," assure DARLING.

Mais au final, ce que pensent les personnages de la série de leur contrepartie synthétique n'est pas le plus important. C'est nous qui sommes spectateurs. Si l'un des objectifs de la série est effectivement de modifier notre perception des robots, on peut dire que la fin du deuxième épisode, SKIN, est un bon début. On doit désactiver une sexbot fabriquée illégalement. Comme DORIAN est ce qu'il est, il veut être là. La sexbot n'est pas super intelligente. On ne sait pas si sa programmation lui permet d'avoir des émotions rudimentaires ou lui permet simplement de les imiter pour ses clients. On ne sait pas non plus si elle comprend vraiment ce qu'elle fait dans cette pièce blanche et aseptisée, avec ce technicien. Peut-être a-t-elle peur. Peut-être pas.

La robophobie dans la série est répandue, tenace et souvent drôle. Regardez cette scène. Il ne se passe pas grand chose, et respirez un grand coup : si ça se trouve, vous n'êtes pas humain non plus.


SOURCE  :  POPULAR SCIENCE d'après l'article d'

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